
FATOUMATA DIAWARA + SIÂN POTTOK
Si le temps était venu en 2018 pour Fatoumata Diawara de dévoiler avec Fenfo, (« Quelque chose à dire »), 2023 réunit toutes les conditions pour la grande voix d’Afrique de proposer avec London Ko, un nouvel album tourné vers le futur.
Nominée aux Grammy Awards en 2019, aux Victoires de la Musique de la même année, meilleur talent aux Awards d’Afrique 2020, nominée aux AEAUSA en 2022, Fatoumata Diawara a cumulé les honneurs avec un disque qui condensait l’essence de son parcours musical depuis Fatou (2011). Elle y exprimait le regard aiguisé d’une femme africaine sur des thèmes controversés de la société contemporaine. La réconciliation parfaite entre les sons électriques et les traditionnelles mélodies d’une kora ou du N’goni, le rythme mandingue des percussions et la voix griotique de Fatou, avaient été minutieusement réfléchis au sein de sa maison de production Montuno et avec Mathieu Cheddid, qui l’accompagne à la guitare et co-produit l’album. Le disque sera sublimé par les incroyables photographies et vidéos réalisées en Éthiopie par Aida Muluneh, dont le travail est exposé jusqu’à New York au MOMA.
“I’ve had so many different musical adventures since the last album, touring and working with so many other musicians and I think you can hear how all of that feeds into this record,” she says. “This is my time and I’m sharing my soul.”
En l’espace de dix ans, l’artiste malienne fait un nombre colossal de collaborations, en Europe, aux Etats-Unis, et bien sûr en Afrique, qu’elle accueille comme un laboratoire d’idées qui contribuera à forger son propre style, toujours plus visionnaire, toujours plus inclassable. Parmi ces rencontres, une autre figure centrale, Damon Albarn. Celui qui lui avait permis de partager la scène d’Africa Express avec Paul McCartney à Londres en 2012, puis de participer à un duo, « Désolé », sur l’album de Gorillaz en 2020 poursuit l’aventure avec la chanteuse malienne pour co-produire six morceaux de son nouvel album London Ko. Le titre en dit long sur la complicité des deux artistes, un choix engagé pour montrer l’importance du partage et la richesse des différences, à une époque où la globalisation et la discrimination ne cessent de croître.
“To me, London Ko means open minds, open spirits. It represents the connection of Damon Albarn with Malian music.”
Dans un univers esthétique qui se joue des espaces et du temps, l’artiste navigue entre les genres en une parfaite continuité avec ce qui avait été initié dans l’album Fenfo. Afrobeat, jazz, pop, électro, rock, hip hop ou encore ska, Fatoumata ne cesse d’explorer, mais c’est dans la gamme pentatonique que la magie opère, fidèle au registre traditionnel mandingue qu’elle revisite depuis ses débuts en musique. Elle nous en donne un avant-goût avec le single Nsera (« Destination »), agrémenté d’un clip détonant réalisé par Grégory Ohrel. Avec ce premier jet, elle rejoint définitivement la mouvance afrofuturiste, et se place au rang des leaders d’une Afrique pleine de ressources.
“I put all my love, spirit and entire body on the creative process and this album is pure.”
C’est par la rétrospective qu’on constate que le chemin a commencé à se tracer ça et là pour aboutir en une véritable confluence qui sous-tend London Ko. A l’origine, une personnalité, un talent et un engagement corps et âme : elle rassemble en 2013 les plus grands artistes du Mali, parmi lesquels Oumou Sangaré, Amadou&Mariam, Tiken Jah, Toumani Diabaté, au total une quarantaine de musiciens autour du morceau Mali-Ko (« La Paix ») en réponse à la situation désastreuse du pays. Dix ans plus tard, c’est l’écho de Mali Ko qui résonne en London Ko, un choix artistique qui confirme la grandeur de l’artiste qui ne se contente pas de dénoncer, mais s’efforce de proposer. D’autres projets « à part » scanderont le parcours de l’artiste, dont, en 2017, une mobilisation contre le trafic de migrants en Lybie et une composition en vidéo, « Djonya » (« Esclavage ») qui sera visionnée en masse.. Mais encore, « Ambé » (« Ensemble »), qui, à l’initiative de Fatou, rassemble des femmes artistes venus des quatre coins du monde – Angélique Kidjo, Dianne Reeves, China Moses, Inna Modja, Somi, Mayra Andrade, Thandiswa Mazwai et Terri Lyne Carrington – comme un encouragement à ne pas baisser les bras dans un contexte pandémique où la tendance est à l’individualisme. Elle contribue en 2021 à révolutionner le genre musical du Western, jusqu’alors incarné par Ennio Morricone et Sergio Leone, en chantant aux côtés de Lauryn Hill la bande sonore « Black Woman » pour le film The Harder They Fall. us les projecteurs avec l’EP Maliba, sept chansons dédiées à un projet sur les légendaires manuscrits de Timbuktu, co-produit par Google Arts. Un hommage à la culture malienne, mais aussi à la lutte d’un peuple.
Sa carrière musicale se dessine à pas de géants, à l’image du projet Lamomali de Matthieu Cheddid, où elle prend naturellement la place de diva, pour chanter la naissance d’un nouveau monde. -M- décrit cet album comme une utopie, « un pays imaginaire qui deviendrait réel » et d’ajouter que : « c’est aussi une célébration de l’anomalie qui fait partie de nos vies ». Un projet en harmonie avec les convictions intellectuelles et musicales de Fatoumata Diawara, qui transforme les dissonances du monde contemporain en proposant de nouveaux univers sonores, mais aussi de savoir-vivre. Être actrice de sa propre vie, c’est le défi de Fatou et le message qui sous-tend l’intégralité de son œuvre.
Il faut dire que la résilience est l’une des qualités indéniables de l’artiste, qui depuis enfant, surmonte les chocs et les obstacles que la vie n’a cessé de semer sur sa route. Née en Côte d’Ivoire en 1982, de père et mère maliens, elle est forcée de quitter le pays dans les années 90 pour aller vivre chez une tante à Bamako. Son père aura 21 enfants au total, dont certains ne résisteront pas à la maladie. Elle grandit dans une atmosphère rude, séparée des siens, et peu considérée. C’est par la passion de la danse qu’elle parvient à se construire un univers, et une porte d’entrée dans le monde du cinéma. Indépendante et débrouillarde dès l’enfance, avant le talent, c’est sa personnalité hors du commun qui attire l’attention des réalisateurs. Son premier tournage, Taafé Fanga (« Le Pouvoir des femmes »), est une expérience bouleversante pour la jeune fille
« Les femmes jouaient le rôle des hommes africains et les hommes africains jouaient le rôle des femmes africaines. J’avais 13 ou 14 ans et j’ai trouvé cela magnifique. »
Elle est tout de suite remarquée par le cinéaste Cheick Oumar Sissoko qui lui donne le premier rôle féminin dans La Genèse : le film sera récompensé au festival de Cannes en 99.. Elle joue dans plusieurs longs métrages, dont le rôle de Sia dans le film de Dani Kouyaté, Sia, le Rêve du Python, une adaptation du mythe du Serpent Bida, dans lequel une jeune fille doit être sacrifiée et tente de fuir sa famille. Le film remportera aussi de nombreux prix.. Ce n’est pas anodin que dans son pays, on la connaisse davantage sous le nom de « Sia », car la fiction allait devenir réalité. A peine majeure et Fatou est contrainte de fuir son pays pour éviter le mariage forcé. Elle atterrit en France pour jouer Antigone au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris. En 2002, elle intègre la célèbre Compagnie Royal de Luxe de Nantes et y restera pendant six ans, l’occasion de voyager dans le monde entier dans le cadre d’un spectacle absolument époustouflant.
Ce sera par l’actorat qu’elle rétablira les liens avec le Mali, mais surtout avec la musique de son pays. Engagée par l’Opéra du Sahel à Bamako pour interpréter le rôle féminin du spectacle, elle y rencontre Cheick Tidiane Seck qui lui proposera de revenir au Mali pour participer à son album Sabaly ainsi que pour faire les chœurs de la chanteuse de jazz Dee Dee Bridgewater (« Children Go Round », Red Earth). Moment décisif pour la jeune chanteuse, qui décide alors de travailler son propre répertoire et de faire des concerts dans les bars parisiens.
Musique et cinéma viennent se compléter et en 2007, elle décroche le rôle de Karaba dans la comédie musicale Kirikou et participe au disque du spectacle. Parallèlement, elle joue le rôle d’une chanteuse dans le film Il va pleuvoir sur Conakry du réalisateur guinéen Cheick Fantamadi Camara, qui remportera plusieurs prix, et la recontactera des années plus tard pour jouer le rôle principal de Morbayassa.. A nouveau, fiction et réalité se chevauchent dans la vie de Fatoumata, qui incarne le pouvoir de la femme et le clivage entre la tradition et la modernité. Fiction/réalité qui suivra son cours avec Abdherrahmane Sissako et son film Timbuktu, en 2014, film africain le plus vu au monde et récompensé de sept Césars et un Oscar, dans lequel Fatou jouera et composera le morceau « Timbuktu Fasso » avec Amine Bouhafa Elle jouera notamment aux côtés d’Omar Sy dans le film de Philippe Godeau, Yao, sorti en 2019, et retournera sur les planches avec l’opéra Le Vol du Boli d’Abdherramane Sissako, orchestré par Damon Albarn, juste avant la pandémie
Depuis ses débuts, c’est en filigrane du cinéma que Fatoumata Diawara forge sa carrière musicale : ses apparitions aux côtés de musiciens maliens mondialement reconnus vont retenir l’attention du label World Circuit et lui permettre d’enregistrer son premier album, Fatou, en 2011. Un succès dans la presse internationale, qui la hisse parmi les révélations des jeunes talents femmes d’Afrique. Rapidement, elle a l’opportunité de chanter avec des artistes comme Herbie Hancock (The Imagine project, Grammy Award en 2011) ou Bobby Womack. Elle chante en 2012 aux côtés de Flea, bassiste des Red Hot Chili Peppers, de Tony Allen et de Damon Albarn, entre autres, pour le projet fou Rocket Juice & The Moon. Elle enregistre un album live à Marciac avec le pianiste cubain Roberto Fonseca, jeune prodige qui débutait sa carrière dix ans plus tôt avec le légendaire Buena Vista Social Club. Une fusion de l’Afrique et de Cuba qui confirme la versatilité de la chanteuse malienne et son potentiel jazzy.
Ce sont toutes ces expériences qui à leurs manières, ont contribué à façonner la voix de la chanteuse et à se forger une propre identité musicale, qui atteint son apogée dans London Ko. Le modèle qu’elle propose trouve sa source dans sa propre créativité qui porte la voix de l’émancipation. Avec des chansons comme Netara (« Je m’en vais ») ou Yada qui chante l’arrogance de la célébrité, elle se réapproprie des techniques vocales ancestrales, non plus pour conter l’histoire, mais pour aller au-devant des choses. Avec la présence des stars montantes de l’Afrique, le rappeur ghanéen M.anifest ou encore la nouvelle voix de l’Afrobeat Yemi Alade, Fatou est aussi dans l’ère qui se tourne vers l’autre et ce qu’il y a de plus innovant aujourd’hui en Afrique. La preuve en image avec le clip de Nsera, dans lequel elle mobilise les artistes contemporains les plus influents d’Afrique, danse, art, mode, tout y est mis en exergue. Mais le message est aussi celui d’un multiculturalisme qui a tout encore à réinventer. London Ko propose une vision prophétique de ce que l’Afrique peut faire en inventant un espace-temps alternatif et inclusif, où il est possible de devenir maître de son destin. Angie Stone, Roberto Fonseca, -M-, Damon Albarn, tous font partie de l’aventure pour forger un nouveau monde. En prenant soin de la forme, l’artiste participe non seulement au soin du monde et mais aussi au soin de ses ancêtres, car pour Fatoumata Diawara, tout est lié.
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